Niger: les annonces du général Tiani sont une «fermeture hermétique au dialogue»
Au lendemain de l’allocution télévisée du général Abdourahamane Tiani, lors de laquelle le leader du CNSP au Niger a notamment annoncé un dialogue national inclusif, entretien avec Oumar Moussa, directeur adjoint du cabinet du président renversé Mohamed Bazoum.
Dans une allocution télévisée samedi soir, le général Tiani, chef du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), a présenté sa feuille de route : une transition d’une durée maximale de trois ans maximum, un dialogue national inclusif. Il a également affirmé que son pays se défendrait en cas d’intervention militaires. Pour Oumar Moussa, directeur adjoint du cabinet du président renversé, Mohamed Bazoum, ces annonces témoignent d’un « mépris pour le peuple nigérien et la communauté internationale ».
RFI : Le général Tiani a annoncé ce samedi soir une transition d’une durée maximale de trois ans, la convocation d’un dialogue national pour poser les fondements « d’une nouvelle vie constitutionnelle », tout cela sans évoquer à aucun moment le sort du président qu’il a renversé, Mohamed Bazoum, le 26 juillet, toujours détenu à ce jour. Qu’en avez-vous pensé ?
Oumar Moussa : Pour moi, c’est particulièrement consternant. Ces propos sont une fermeture hermétique au dialogue. C’est vraiment du mépris pour le peuple nigérien, c’est une insulte aux chefs d’État de la Cédéao et c’est du mépris pour la communauté internationale. On essaie au maximum d’éviter une intervention militaire et de trouver des solutions négociées… On ne peut pas se retrouver devant une personne qui décide de son agenda, de ce qu’il doit faire et qui balaie toutes les volontés de négociation.
Le général Abdourahamane Tiani a fait ces annonces alors même que la délégation de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) était toujours à Niamey…
C’est ça justement qui est assez frappant. À sa demande, des personnalités de la Cédéao sont venues essayer de négocier, dans l’intérêt de tout le monde. Mais lui, peut-être parce qu’il n’a pas forcément entendu ce qui l’intéresse, se permet d’aller à la télévision balayer d’un revers de main toute possibilité de dialogue. Cela pendant qu’ils [les émissaires de la Cédéao, NDLR] sont dans nos lieux. Je trouve que ce n’est pas élégant, ce n’est pas responsable, tout simplement.
Pensez-vous que cela reflète la seule volonté du général Tiani ?
Moi, je ne sais pas. J’ai tendance à penser qu’au sein du CNSP, il y a des gens assez raisonnables qui préféreraient faire de leur mieux pour qu’on n’en arrive pas à une solution qui n’est autre que celle négociée. Je pense que c’est son entêtement à lui. Je ne pense pas que les gens manquent d’élégance au point de tous considérer qu’il faut botter en touche la question des négociations pendant que les négociateurs sont dans nos murs. Je pense que c’est l’entêtement du seul chef Tiani. Ça ne correspond pas beaucoup aux autres membres [de la junte, NDLR].
Ce dimanche, des milliers de manifestants à Niamey sont sortis exprimer leur soutien à la junte après ces déclarations faites par le général Tiani.
On sait comment on crée des manifestants. On prend des jeunes recrues dans la gendarmerie, dans la garde, dans l’armée… On les habille en civil, on fait remplir le stade. Puis, il y a d’autres personnes, les badauds qui ne comprennent pas grand-chose, qu’on mobilise. Et cela donne ce rassemblement. Mais ce n’est pas ça le Niger. Pendant qu’ils financent d’un côté une mobilisation de ce type, ils empêchent les citoyens normaux de se regrouper, à coups d’intimidation, à coups d’arrestations arbitraires.
La délégation envoyée par la Cédéao à Niamey a pu rencontrer samedi Mohamed Bazoum, le président renversé le 26 juillet. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette rencontre ?
Ils ont rencontré le président. Leur principale préoccupation était de s’enquérir de son état de séquestration. Ils ont pu confirmer tout ce que nous avons développé ces derniers temps, à savoir effectivement qu’il est séquestré, privé d’électricité, il est dans des conditions qui ne sont pas bonnes du tout. C’est assez dommage, ce n’est pas élégant, c’est quasi criminel.
Tout le monde semble camper sur des positions irréconciliables pour le moment. Quel scénario vous semble possible ?
Ce ne sont pas des positions irréconciliables, il faut ouvrir la possibilité au dialogue tel que la communauté internationale, la Cédéao, le Nigeria, le président Bazoum l’ont souhaité. On ne peut pas dire qu’il n’y a pas des éléments sur lesquels on aurait pu s’entendre. Mais maintenant que le général Tiani ferme hermétiquement la porte au dialogue, on n’a pas pu examiner les possibilités de sortie de crise. Voilà, c’est tout ce que je constate avec beaucoup d’amertume d’ailleurs.
Sur quels éléments « aurait-on pu s’entendre », comme vous dites ?
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Le général Tiani aurait pu négocier sa sortie. Le fait est que le président Mohamed Bazoum est légitimement élu, il n’y a pas de raison de faire un coup d’État, il n’y a aucun prétexte.
Le général Tiani a prétexté dès les premiers jours de son putsch qu’il l’a fait parce que les conditions sécuritaires étaient dégradées. Mais curieusement, samedi, dans son propos, il dit que le Niger empêche que le terrorisme envahisse toute la région. Donc, vous voyez une contradiction flagrante. Ils [la junte, NDLR] ne croient pas à ce qu’ils disent eux-mêmes. Mais ils auraient pu négocier leurs conditions de sortie, ils auraient pu négocier la façon dont ils pouvaient être traités pour qu’on ferme rapidement cette parenthèse malheureuse.
La Cédéao peut-elle accepter cette transition annoncée par le général Tiani ?
Le général Tiani aurait pu la leur proposer dans un cadre négocié pendant que la délégation de la Cédéao était dans nos murs et il aurait entendu ce qu’elle lui aurait dit. Mais, moi, j’ai suivi la ligne de la Cédéao qui considère que ce coup d’État est un coup d’État de trop. On ne peut pas permettre que soient bafoués comme ça la démocratie, l’État de droit, l’ordre constitutionnel. Donc, la ligne de la Cédéao est qu’il faut revenir à l’ordre constitutionnel normal, rétablir le président Bazoum dans ses fonctions et alors négocier les conditions de sortie des putschistes afin que les choses reprennent normalement.